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La rhétorique en temps de pandémie

Deux ans de pandémie. A l’aube de 2022 et au crépuscule de l’humanité, nous survivons dans une adaptation permanente aux sautes d’humeur gouvernementales. La rhétorique des médias et des politiques fait et défait nos journées. Comment sommes-nous parvenus à accepter l’inimaginable ?

Cela tient à l’incroyable communication déployée autour de la pandémie. Cette communication s’appuie sur des procédés rhétoriques et des stratégies de psychologie sociale dont abusent médias et politiciens. S’ils fonctionnent aussi bien, cela tient à notre difficulté à les reconnaître dans un discours. Pour cette raison, je vais vous en présenter quelques-uns. Connaître ces procédés, c’est déjà les combattre.

Il s’agit d’un biais cognitif. Le principe est simple : plus un individu est exposé à quelque chose ou quelqu’un, plus forte est la probabilité qu’il y adhère. La publicité utilise à outrance le procédé. Il est depuis deux ans une arme efficace pour générer l’adhésion de la population à des mesures qui auraient pu engendrer un refus total.

Vous vous demandez comment on a pu accepter aussi facilement le confinement du printemps 2020 ? Alors souvenez-vous à quel point cette mesure, alors inédite pour nous, a été ressassée ad nauseam dans tous les médias les jours qui ont précédé son annonce. A force de la voir apparaître dans les médias, nous nous sommes habitués à cette idée, jusqu’à la réclamer carrément. L’effet de simple exposition a été utilisé chaque fois qu’il a fallu annoncer de nouvelles restrictions : les confinements, le couvre-feu, les restrictions de déplacement, le passe, l’idée d’exclure une part de la population, etc.

On nomme l’argument ad misericordiam « appel à la pitié ». En effet, ce sophisme fait appel aux émotions : pitié, compassion, culpabilité. Les médias l’ont largement utilisé durant la première partie de la crise en 2020. Combien d’articles et de reportages sur telle ou telle situation individuelle propre à faire couler les larmes du téléspectateur ? Soignant à bout, vieille dame seule dans sa chambre d’Ehpad, père de famille qui décède sans avoir revu ses enfants… L’ad misericordiam aura bien servi ! Il sert encore, notamment lorsqu’il s’agit de montrer des non-vaccinés repentis sur leur lit de réa. Pourquoi cet appel au compassionnel ? Parce que quand l’émotion s’en mêle, nous ne sommes plus capables de raisonner objectivement. Donc de rejeter les arguments fallacieux.

Aussi nommée fenêtre de discours, ce terme définit les opinions et comportements jugés acceptables par notre société. Pour un homme politique, tout l’enjeu est d’agrandir la fenêtre, afin qu’elle contienne les mesures qu’il défend. Le niveau d’acceptation d’une idée par l’opinion publique va de l’impensable à la politique publique, en passant par le radical, l’acceptable, le raisonnable et le populaire. Pour agrandir cette fenêtre, différentes étapes sont nécessaires, afin de faire passer une opinion au stade suivant. Si vous souhaitez un exemple concret du fonctionnement de la fenêtre d’Overton, lisez celui sur le cannibalisme.

Impensable en 2019 d’être enfermé pendant des mois chez soi. Tout aussi inenvisageable en 2020 d’être scanné et tracé dans la plupart de nos déplacements. Tout à fait radicale l’idée de forcer la population à se vacciner et de discriminer ceux qui s’y refusent. Pourtant, tout cela, grimpant l’échelle d’Overton, est devenu une politique publique. A l’inverse, tout ce qui ne va pas dans le sens de la parole officielle a basculé de l’acceptable au radical.

Sophisme consistant à exagérer la position adverse pour la décrédibiliser, la technique de l’épouvantail a été maintes fois utilisée par le gouvernement et les médias. Ce raisonnement fallacieux consiste selon Schopenhauer en une stratégie d’extension : on étire les opinions de l’adversaire hors de ses limites pour l’exagérer. Impossible de remettre en question le passe sanitaire sans être qualifié d’opposant à la vaccination. On ne saurait non plus questionner les politiques de répression sans être taxé de complotisme, ce terme fourre-tout. On peut combiner le procédé à un autre sophisme : l’appel au ridicule. Le procédé de l’homme de paille a été utile pour contourner chaque critique émise envers la politique sanitaire, et délégitimer toute contestation.

On ne saurait réduire la communication autour de la crise à trois procédés de rhétorique. En vérité, médias et politiciens usent, et depuis toujours, de nombreuses stratégies pour faire accepter leurs idées et disqualifier l’opposition. Parmi elles, les sophismes, utilisés à la truelle. Quelques-uns en vrac, avec des exemples concrets :

  • argument d’autorité : la communauté scientifique affirme la nécessité de telle ou telle restriction
  • argument ad personam : les antipass sont en moyenne moins diplômés, les non-vaccinés sont des « méfiants » qui vivent dans un « délire », etc
  • appel à la peur : si tu ne te fais pas vacciner, tu tueras ta grand-mère ou tu finiras en réa
  • argument ad novitatem : l’intérêt du vaccin ARN réside dans sa nouveauté
  • argumentum ad antiquitatem : ce vaccin n’est pas inquiétant car il utilise une technologie qui existe depuis des décennies. (voyez comment dans une même argumentation, on peut utiliser des sophismes a priori contradictoires)
  • argument ad odium : c’est odieux de comparer le passe vaccinal à l’étoile jaune (sans expliquer pourquoi)
  • sophisme de la cause unique : s’il y a une 5e vague, c’est uniquement à cause des non-vaccinés (sans prendre en compte les autres causes possibles)
  • post hoc ergo propter hoc (à la suite de, donc à cause de) : après la mise en place du couvre-feu, les contaminations ont baissé, donc c’est grâce au couvre-feu
  • pente savonneuse : si nous ne prenons pas des mesures restrictives maintenant, alors dans x temps, il y aura des centaines de milliers de cas, puis des dizaines de milliers de décès, etc.
  • argument ad populum : si une majorité de la population l’accepte, c’est la preuve que telle mesure est la bonne.

Comme nous le voyons, les médias ne choisissent pas leurs sujets au hasard. Les politiciens ne discourent pas de manière spontanée. La rhétorique est l’art de bien parler. En soi, il est donc normal et bénéfique de s’appuyer sur ces procédés pour exprimer une pensée. Cela devient gênant quand le discours est entaché de sophismes, c’est-à-dire d’arguments fallacieux destinés à tromper. Nous venons de voir que c’est pourtant ainsi que se fait la communication au cours de cette épidémie. Chercher à tromper son interlocuteur est chose grave, surtout quand cela a pour but une limitation de ses droits fondamentaux.

Quel que soit notre sentiment à propos de ce que nous vivons, il est essentiel que nous sachions reconnaître les raisonnements faux qui visent à légitimer une action contestable. Pour écrire cet article, je me suis beaucoup appuyé sur le politologue Clément Viktorovitch, grâce auquel j’ai beaucoup appris ces derniers temps. Mes lectures et mes propres réflexions m’ont aidée à compléter l’ensemble.

Je vous invite à faire de même en écoutant Clément Viktorovitch et en vous instruisant par la lecture. Puis, faites l’exercice, à chaque reportage ou discours politique, de relever autant d’éléments fallacieux de rhétorique que vous le pouvez. Vous ne manquerez pas de matière !

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