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C’était mieux demain

Vous souvenez-vous du premier confinement ? C’était il y a un an et quelques mois. L’enfermement de tous faisait consensus, la pensée était uniforme, la foi en l’avenir se voulait inébranlable en dépit du bon sens. Quelle belle époque !

On voyait fleurir sur les réseaux autant de messages d’espoir ; d’aucuns s’imaginaient bâtir le monde de demain, repentis des erreurs d’hier, un monde où l’humanité vivrait forcément en belle harmonie avec son environnement. L’espoir était beau, certes, mais quelque peu irréaliste, comme tous les idéalismes. Qu’est donc devenue cette utopie un rien bourgeoise du printemps 2020 ?

Les utopies sont détestables. C’est l’idée qui nie le réel. Dans la littérature, elles permettent de critiquer la réalité. Mais précisément, il s’agit de sociétés imaginaires. Tandis qu’au printemps 2020, certains ont cru possible de transformer le réel, insoutenable, en une illusion bien plus supportable. Cet idéal collectif rassemblait la plupart des caractéristiques de l’utopie traditionnelle. Le confinement était vécu comme un effort collectif de courte durée, auquel l’individu devait se résigner pour le bien de tous. Et après, on construirait un nouveau monde. Avec des fleurs, des animaux, des sociétés plus justes et unies, pour ne pas dire uniformes, sans dissonance. Une entité collective qui absorberait l’individu. C’est une base de l’utopie. Combien de messages ai-je lus qui fantasmaient la « libération », chacun sortant de chez soi bras ouverts pour embrasser son prochain et n’être qu’amour. Un idéal quasi religieux.

Au lieu de cela, un 11 mai pluvieux, les hommes sont sortis de chez eux à pas prudents, bras fermés, terrorisés, abattus. Certains ont continué à se terrer dans le secret de leur maison. Les retrouvailles furent ternes, les esprits las, on pouvait sortir mais dans une limite donnée, le monde de demain ressemblait sensiblement à celui d’avant, en pire. On a troqué l’exaltation pour la patience.

Comme la désillusion était grande ! Le réel était là, implacable : le monde de demain, c’est pas pour aujourd’hui. Fantasme d’un nouveau monde balayé par l’ancien. Les gens ont repris le chemin du travail, les uns ont mis en vente sur le Bon Coin leur machine à pain, les autres ont laissé en friche leur potager. Les chasseurs se sont empressés de « réguler », euphémisme convenu, les animaux qu’on voyait en vidéo investir les cités humaines. Le canard du printemps devint le magret de l’été. Les petits malins du confinement purent à nouveau se promener sans avoir à louer un chien au voisin. Et, à la joie secrète de tous, on ne se sentit plus obligé d’applaudir chaque 20 heures. Délaissant son utopie, l’humanité n’a dès lors aspiré qu’à retrouver sa vie d’avant.

Et c’est encore cet espoir qu’on nous chante aujourd’hui, avec cette histoire de pass. Le retour à la vie d’avant. Il est vrai que l’humain est souvent nostalgique. Le refrain « c’était mieux avant » ne date pas du XXIe siècle. La différence réside en ce qu’on peut à présent définir précisément l’avant. Portés par cette nostalgie aveugle, combien de sacrifices sommes-nous prêts à concéder pour un lendemain au plus proche de l’hier ? Nous gardons l’espoir de restrictions temporaires. C’est cet espoir qui nous immobilise et nous contraint. La réalité est que nous n’avons plus d’horizon, aussi nous fermons les yeux pour en recréer un.

Quelques-uns les ouvrent à présent. Face à eux-mêmes, ils défendent leurs idées. Ceux-là aussi sont des utopistes, à leur manière. Iront-ils, comme les Justes de Camus, jusqu’à mourir pour l’idée ? Et contre quel réel ?

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